Il me semble qu'on abord deux discussions sur deux sujets différents dans un unique topic : une discussion sur Didjaman, et une autre discussion sur le devenir du didgeridoo dans l'univers de la musique occidentale.
Ce message promet d'être trèèèès long. Déjà que je suis bavard le reste du temps, si on m'offre l'opportunité et la matière pour étaler une longue tartine, je ne vais pas me priver...

Je vais donc scinder en deux mon commentaire, ça sera plus clair.
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En ce qui concerne Raphaël / Didjaman.
Je me permets de te répondre personnellement dans la mesure où ton premier message me concerne plus ou moins directement (c'est moi qui avait fait la remarque sur tes "potes aborigènes" dans le topic consacré à ta méthode DVD).
Dans mes messages, je n'ai fait que donner mon avis sur ce que tu nous présentais ; rien de plus. Mon avis est subjectif, on a tout à fait le droit de ne pas être d'accord avec ce que j'écris - je n'ai pas la prétention d'avoir la science infuse, ni même d'avoir raison. Mais c'est
mon avis, je l'estime argumenté et justifié, et j'y tiens.
Je ne te connais pas, Raphael, nous n'avons jamais eu l'occasion de nous rencontrer. Je tiens à préciser (c'est important) que je n'ai aucune rancoeur, jalousie, ou haine contre toi. Si on a l'occasion de se croiser un jour au détour d'un festival, je te paierai volontiers une bière et on pourra discuter tranquillement de tout ça et d'autres choses... mais mon avis n'aura pas changé d'un pouce.
Après, en bon François le français, j'ai tendance à ne faire remarquer dans mes messages que ce qui ne va pas et à ne pas parler de ce qui est bien. C'est bête, mais bon, on ne se refait pas.
Je n'en avais pas fait la remarque, mais je t'avais trouvé très courageux de nous présenter sur le forum ta création poétique avec Denis Lavant... Surtout sachant qu'on est pas toujours tendre avec toi dans nos critiques, justement. Qu'on aime ou qu'on n'aime pas le résultat, c'était tout à ton honneur de le partager avec nous.
Didjaman a écrit :Et par dessus tout, j’aime l’authenticité…
Tu dois le savoir, on a déjà dû te le dire, mais fais très attention avec notion. Le didgeridoo n'est pas un instrument quelconque, il a une histoire complexe et lourde (humainement parlant).
La seule vraie authencité dans le didgeridoo se situe du côté des aborigènes d'Arnhem Land, et par égard pour eux, on ne peut pas faire n'importe quoi si on se réclame d'une quelconque authenticité.
Flyroots a écrit :C'est quoi le problème avec l'argent, c'est mal d'espérer vivre dignement de ce qu'on propose aux autres ? C'est mal de réussir ?
Pour mettre les pieds dans le plat, j'ai l'impression qu'on ne reproche pas tellement à Didjaman de faire de l'argent de sa passion. C'est plus un ensemble de choses qui font débat, comme le prix de ses instruments, la technicité de sa musique...
(J'ai mis presque 10 minutes à écrire cette simple phrase tant elle me semble polémique à elle seule, j'ai préféré être très concis et ne pas prendre parti, mais je pense que la plupart des gens comprendront
)
Dernièrement, on lui a reproché certains points particuliers de la communication autour de ses produits. A savoir, en ce qui concerne sa méthode DVD, qu'elle s'adresse aux "débutant et confirmés" (alors qu'a priori seuls les premiers sont concernés), et qu'elle joue sur l'imagerie d'Epinal de l'Australie quitte à faire des raccourcis rapides (comme l'âge supposé du didgeridoo).
Bref, je ne cherche pas à relancer la polémique, ni à faire virer le topic au bain de sang, mais il me semblait important de le remarquer...
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En ce qui concerne l'avenir du didgeridoo - propos qui ne s'adressent plus vraiment à Raphaël mais à l'ensemble des intervenants de ce topic.
Titou a écrit :C'est prendre ses désirs pour des réalités. Je connais quelques joueurs de didge qui vivent de leur métier de musicien, de commerçant, ou même de fabricant mais il ne faut pas confondre ! Même s'il y a un ou deux contre-exemples, tant qu'il y aura aussi peu de gens intéressés par notre instrument, ça ne sera pas possible sur la durée.
[...]
On a pas le choix, on bosse ensemble et on fait ce qu'on peut pour promouvoir notre passion en mettant nos égos de coté de temps en temps, ou on crève ensemble et seuls les plus forts survivent dans un marché de plus en plus riquiqui.... jusqu'à la prochaine mode grand public lancée par on sais pas qui.
Je te l'avoue Titou, tes propos me dérangent un peu. Voici comment j'interprète ton message en substance :
- il y a un grand nombre de passionnés qui cherchent à vivre du didgeridoo (ce qui est très bien, je ne leur jette aucunement la pierre, bien au contraire !) ;
- toutefois, le marché du didgeridoo est réduit, la demande est manifestement très inférieure à l'offre : les crafteurs et artistes ne peuvent pas vivre de leur passion.
- ce n'est pas grave, la solution est toute trouvée : pour augmenter la demande, il suffit d'apporter le didgeridoo au plus grand nombre.
C'est sur ce dernier point que le bât blesse.
On peut apporter le didgeridoo au public en lui apportant des productions de qualité ; ceux qui auront naturellement la fibre didgeridoo réagiront (et ils deviendront peut-être eux-même des joueurs de didge), les autres oublieront assez vite ce qu'ils auront entendu... Cela, je l'encourage de tout mon coeur et je n'y vois aucun inconvénient.
La dérive consisterait à vouloir créer une demande de toute pièce en apportant le didgeridoo à tout le monde,
vraiment tout le monde, y compris aux gens qui n'ont pas la corde sensible pour le didge... ce qui nécessiterait de niveler par le bas et de mêler le didgeridoo à la soupe commerciale qu'on entend dans les supermarchés et les salles d'attentes. Parce bon, hein, il ne faut pas faire l'autruche ni se leurrer : les oreilles du
vulgum pecus moyen sont assez peu sensibles à un authentique manikay aborigène, il n'y a malheureusement que ce type de musique-là qui parle à beaucoup de gens.
C'est pour cette raison que je ne peux pas être à 100% d'accord avec Flyroots ci-dessus, qui est entièrement tourné vers le public : proposer de la vraie bonne musique aux gens, bien sûr, se mettre à tout prix au niveau du plus grand nombre... non.
Je ne souhaite pas que le didgeridoo reste un instrument secret détenu par une petite communauté minoritaire, mais comme Nadia, je serais encore plus affligé d'entendre du didgeridoo dans un clip de Matt Pokora passant en prime sur TF1. Parce que je pense que notre instrument vaut
tellement mieux que cela et qu'il risque d'y perdre son âme ; parce que je crois que ce n'est pas ainsi qu'on fera avancer vraiment la voie du didgeridoo ; parce que je sais que ce n'est pas de cette façon qu'on le débarassera des préjugés et vieilles images stéréotypées ("appeau à hippies", sic) qui lui collent à la peau ; et
last but not least, parce qu'à trop vouloir être grand public, on est forcé de s'asseoir sur ses principes et son éthique.
Et parce qu'au demeurant, j'aime la musique de qualité - ce qui n'est pas le cas de la majorité des productions qui passent à la radio ou à la TV.
Vous avez le droit de me trouver élitiste. C'est très probablement vrai.
Bref. Quoi qu'il en soit, à ceux qui ont l'envie - légitime - d'apporter le didgeridoo au plus grand nombre, je réponds : OK, c'est très bien. Mais allez-y prudemment et essayez d'avoir du recul vis à vis de ce que vous faites, sinon on (la communauté du didge) pourrait s'en mordre les doigts d'ici une dizaine d'années.
TomBack a écrit : D'un point de vue culturel les musiciens s'efforcent toujours à garder et promouvoir les origines des instruments et des musiques (Exemple avec les baggadd et la cornemuse dans la musique celtique avec les interceltiques)
Au contraire, la musique "celtique" est (à mon avis) un exemple parfait de tout le mal qu'on peut faire à un genre musical et à l'image qu'il a dans l'esprit du public, parce qu'on a essayé de le mettre au niveau du plus grand nombre et de le mêler à des considérations mercantiles. Je ne vais p'têt pas forcément rentrer dans les détails car mon message est déjà suffisament long, je développerai au besoin...
Quant aux bagadoù, c'est un très vaste débat aussi. Je les considère comme une nécessité pratique (parce qu'ils permettent de répondre au besoin des joueurs de sonner à plusieurs dans un ensemble), mais à mes yeux c'est plus de la fanfare destinée au spectacle et à la représentation devant les touristes que de la vraie musique bretonne du quotidien. Les instruments utilisés ne sont pas bretons (en dehors de la bombarde), les airs traditionnels sont triturés et ne ressemblent plus à grand chose (pas facile de danser sur des airs de bagadoù !), et surtout, la musique de bagad ne correspond pas à ce qu'écoutent la plupart des bretons en temps normal (ils sont comme n'importe quel français, ils mettent la radio sur Skyrock ou NRJ).
jethro a écrit :Tout d'abord à cause de sa note unique, citez-moi un seul instrument à bourdon que l'on entende de façon autre qu'anecdotique ... Le côté lancinant du son de ces instruments les cantonne à un registre quasi confidentiel, bien loin des styles musicaux grand public qui vendent un max. Et il n'y a aucune raison pour que le didge aille plus loin que d'autres merveilleux instruments qui, même si on les connaît depuis très longtemps, n'ont jamais pu sortir de leur confidentialité, et ne le feront sans doute jamais, comme la cornemuse ou la vielle à roue par exemple.
La confidentialité des instruments à bourdon (comme la cornemuse ou la vielle à roue que tu cites) est lié au moins autant à leur type de son, très particuliers et qui ne plaît pas aux oreilles modernes, qu'à leur caractère "d'instrument à bourdon" qui les empêche irrémédiablement de se mêler aux instruments modernes.
La musique occidentale moderne est une musique tonale, basée dans 99% des cas sur une gamme tempérée. Les instruments à bourdon sont prévus à la base pour jouer une musique modale, basée sur des gammes non tempérées (comme cela se faisait anciennement en Europe, avant l'uniformisation qui s'est développée à partir du XVII - XVIIIème siècle, et comme cela se fait encore dans de nombreux pays comme en Inde).
Il est très compliqué de mêler deux instruments appartenant chacun à l'un de ces deux types. Mettez un piano avec une cornemuse : le piano se retrouvera limité dans ses possibilités de notes et d'accords car la cornemuse lui imposera la présence permanente d'un ou de plusieurs bourdons (accordés entre eux à l'unisson, voire à la quinte ou à la quarte) que le piano devra intégrer dans sa composition... Il ne pourra pas faire n'importe quoi. Sans oublier que les notes de la cornemuse (gamme non tempérée, avec notamment une tierce et une sixte un peu hautes) ne colleront pas forcément avec celles jouées sur le clavier (gamme tempérée parfaitement équilibrée) : la différence entre deux notes se joue parfois à quelques comas, mais c'est suffisant pour entendre une dissonnance assez désagréable entre les deux instrus.
Les majorités des fabriquants modernes de cornemuse ont réglé ce problème, dans les années 60, en réalisant des chalumeaux (le tuyau de la cornemuse sur lequel on joue) accordés selon une gamme tempérée... Mais les bourdons cessent alors d'avoir une utilité, et on perd une grande partie du caractère de l'instrument.
Les cornemuses à gamme tempérée sont toutefois devenues la règle aujourd'hui (puisque cela devenait indispensable pour pouvoir jouer en groupe avec d'autres instruments comme l'accordéon), à un tel point que ce sont les cornemuses anciennes, à gamme naturelle, qui sont très rares et sont devenus des sortes "d'OVNIs" dans le monde des musiques traditionnelles.
Le problème avec le didgeridoo est le même : l'instrument reste cantonné à une unique note (la fondamentale du bourdon), et les harmoniques se développent selon une gamme naturelle non tempérée (en dehors des exceptions comme les didges à coulisses, qui permettent justement de varier la longueur du tuyau). Partant de là, ce sont les autres instruments (piano, guitare, saxo, etc) qui doivent s'adapter au didgeridoo, et ces derniers se retrouveront nécessairement bridés par ce bourdon omniprésent.