Voici donc la traduction française intégrale de l'interview (made in Joe). Donc pour des raisons de lisibilité, si toi BOUDHIDGE, si toi MODO(E), pouviez enlevez la traduction automatique de Boudhidge, ça serait sympa. Je rajouterais des bonus plus tard.
Quand as-tu commencé à jouer du didgeridoo?
1989.
As-tu déjà été en Australie pour le didgeridoo?
Oui, j'y vais depuis 1990.
Qu'est qui rend le didgeridoo aussi génial selon toi?
Ne pas avoir de trou pour les doigts et jouer avec juste une note rend cet instrument unique. Le didgeridoo en lui-même a une structure très simple. C'est juste un tube creux, mais la structure du son qu'il produit est assez compliquée. En gros le son comporte trois parties: la basse, les harmoniques, et le midrange. Le truc, c'est que c'est trois parties doivent être en bonne proportion les unes par rapport aux autres, afin d'obtenir un son avec une « texture spécifique ». C'est d'avoir cette texture spécifique qui donne un tel plaisir au joueur, peu importe le rythme ou le morceau qu'il joue. Apprendre à obtenir la meilleure qualité de son avec un didgeridoo veut simplement dire apprendre à avoir un son avec une texture la plus riche possible. Quand on commence à avoir ce genre de texture, cela permet d'ajouter une dimension supplémentaire au jeu qui va bien au-delà de tout ce qu'on pourrait imaginer. C'est alors que l'on devient obsédé par l'idée de [bien] jouer, même un simple bourdon. Et une fois que l'on est mordu, c'est un vrai casse-tête, on cherche toujours à s'améliorer. Tout le monde se perd alors plus ou moins dans un labyrinthe sans fin en cherchant le but à atteindre. Le plus on apprend, le plus on réalise que l'on ne sait rien du tout.
En quoi ton style de jeu diffère-t-il du mainstream?
Je pars du principe qu'il faut jouer du didgeridoo d'une certaine façon. C'est mon interprétation personnelle. Mais elle diffère de celle de la plupart des joueurs que j'ai rencontrés. Mon style est fortement influencé par le style traditionnel, parce que ça fait longtemps que j'étudie ce style. Ça ne veut pas dire que je suis un joueur traditionnel, d'ailleurs je n'en suis pas un. La raison qui m'a poussé à apprendre le style traditionnel, c'est que je voulais maîtriser les bases qui permettent de produire même un unique son, mais avec tous les détails présents [basse + harmoniques + midrange].
As-tu appris d'un joueur de traditionnel aborigène?
J'ai fini par le faire, mais pas quand j'ai commencé à jouer. Les premières années, je jouais comme tout le monde. En 1990, j'ai commencé à rencontrer des bons joueurs australiens de didgeridoo, comme David Hudson, Phillip Peris, Phil Conyngham, Alan Dargin. Quand je les ai rencontré à Londres, j'étais encore un débutant, et je n'avais aucune connaissance sur la manière traditionnelle de jouer. Leurs jeux sonnaient tellement différemment de tous les joueurs non- traditionnels que j'avais déjà rencontrés. Leur façon de jouer n'était pas vraiment traditionnelle, mais ce n'était pas non plus le style occidental très répandu. Ces joueurs avaient leur propre style de jeu très original et qui transmettait quelque chose qui plaisait au public. Ce qui m'a impressionné chez ces joueurs était leurs compositions claires et nettes, avec un rythme très « musical » pendant qu'ils jouaient. En général, chez la plupart des joueurs occidentaux, on entend souvent la même petite phrase qui se répète encore et encore sans amener à rien de construit. Mais ces joueurs-là avaient un contenu mélodique intéressant dans leur jeu. J'ai notamment eu de nombreuses opportunités de passer du temps avec Phil Peris, pendant qu'il vivait à Londres (1990-1992). J'étais toujours impressionné quand il jouait pour moi. Il paraissait tellement relaxé pendant qu'il jouait. Il sortait tout sans le moindre effort apparent. J'ai aussi beaucoup écouté le premier album de David Hudson, « Proud to be Aborigine » (et qui reste son meilleur album selon moi). Tout ça pour dire que ces quatre joueurs étaient un peu mon modèle pendant que je pratiquais, jusqu'à ce que mon intérêt se porte sur le style traditionnel. Je suis sur d'avoir appris quelque chose de chacun d'entre eux, bien que ce quelque chose soit tellement différent de ce que j'ai appris par la suite en pratiquant le style traditionnel.
Le premier joueur de yidaki traditionnel que j'ai rencontré était Djamana d'Elcho Island (au large de la Terre d'Arnhem du Nord-Est), quand j'étais à Darwin en 1990. Il a été ma première vraie source d'inspiration en matière de yidaki.
Il habitait dans l'hôtel dans lequel j'étais descendu. Il reste sans aucun doute l'un de mes joueurs de yidaki préférés parmi tous les grands joueurs traditionnels que j'ai rencontrés au cours de ma vie. J'ai été profondément touché quand je l'ai entendu jouer devant moi pour la première fois. C'était tellement polyphonique, je n'avais jamais ressenti ça en écoutant quelqu'un jouer. Immédiatement, ça a brouillé l'image mentale que je me faisais du son d'un didgeridoo. Pour être honnête, le son qu'il créait me fit penser que je ne savais rien... J'avais vraiment l'impression que c'était de la magie. Rien que de l'écouter, j'étais regonflé à bloc; c'était une sensation très intense, très prenante. En l'écoutant jouer, je ne pouvais pas classer ce qu'il faisait comme étant juste de la musique. Son son m'emmenait bien plus loin. Ce son avait plusieurs épaisseurs, avec des bords tranchants, même s'il ne jouait qu'un simple fondamental pendant quelques secondes. Je ne comprenais pas comment quelqu'un pouvait faire ce son-là avec le même instrument que celui que j'utilisais tous les jours. Depuis cet instant, son son ne m'a jamais vraiment quitté. Même maintenant, j'en sens encore inconsciemment la présence quand je pense au yidaki. Plus tard, j'ai eu la même expérience avec les joueurs de yidaki de Yothu Yindi à Londres (1993-1997).
Quand j'ai rencontré Yothu Yindi pour la première fois en 1993, mon intérêt pour le traditionnel ne faisait qu'augmenter, et j'étais clairement capable de faire la différence entre le son traditionnel et le son non-traditionnel.
La personne la plus importante qui m'a fait m'intéresser aux productions traditionnelles a été Wallis Buchanan. J'ai rencontré Wallis en 90 à Covent Garden (un quartier de Londres, ndt) avant qu'il rejoigne le groupe Jamiroquai. On a pratiqué ensemble à partir de cette époque. En 1993, mon histoire didgeridooesque a vu des évènements incroyables se produirent. J'ai eu l'immense opportunité de pouvoir rencontrer Yothu Yindi pendant les balances d'un de leurs concerts à Londres, par Wallis qui avait été présenté à Yothu Yindi par Sony. Wallis écoutait déjà du traditionnel avant que moi je m'y intéresse. S'il ne m'avait pas décrit à quel point leur son était bon (même pour du traditionnel), j'en serais encore au style occidental, et incapable de faire la différence entre les deux. En fait, il m'a mis sur la bonne voie, et on est retourné voir Yothu Yindi encore et encore, à chaque fois qu'ils passaient à Londres pour un de leurs concerts.
Une nuit, on zonait dans leur chambre d'hôtel d'Hyde Park avec Alan James (le manager de Yothu Yindi) et deux joueurs de yidaki du groupe après leur concert. Deux très grand joueurs, Makuma Yunupingu et Yomunu Yunupingu, et ils commencèrent à jouer des morceaux de leur numéro traditionnel pour nous. C'était tellement génial d'être assis en face d'eux et de pouvoir écouter leur son directement en acoustique, sans les micros, les amplis et les enceintes. Ils n'ont pas arrêter de jouer l'un après l'autre. Je me sentais toujours très honoré d'être en leur présence (moi petit scarabée du didj, ndt). Je savais que j'étais un privilégié. C'était une vraie chance d'être avec eux – un peu comme un jeune trompettiste qui rencontrerait Miles Davis. Mon apprentissage et ma pratique partirent alors dans la bonne direction, et j'ai commencé à comprendre doucement comment on devait jouer de cet instrument. Mais en même temps j'ai réalisé que je devais tout reprendre de zéro. Ça voulait dire abandonner toutes les connaissances et les expériences que j'avais acquises. Mais aujourd'hui je peux vous le dire, toutes ces connaissances et expériences étaient erronées.
Quelle est l'influence majeure de ton jeu?
Le style traditionnel du Nord-Est et de l'Ouest de la Terre d'Arnhem.
Quelle est la différence entre le style traditionnel et le style occidental?
Cette question a été de nombreuses fois débattue depuis que les joueurs non-traditionnels éprouvent de la curiosité envers le style traditionnel. On a dit que la différence principale entre ces deux façons complétement différentes de jouer du même instrument était les contenus et les structures du jeu. Mais cette réponse n'atteint pas la différence essentielle qu'il y a entre ces deux styles, et qui est d'abord de niveau technique et de connaissance de l'instrument.
Premièrement, la mécompréhension de comment fonctionne la vibration des lèvres a érigé des murs massifs autour de la production d'un son riche et de qualité pour les joueurs occidentaux. Ces joueurs se limitent donc d'eux-mêmes. La raison pour laquelle ils ont une expression musicale limitée, un son instable, des douleurs (comme le montre leur langage corporel) est qu'ils ne comprennent pas les mécanismes de leurs mouvements musculaires, et adoptent inutilement un souffle trop puissant. Style occidental en gros veut dire « style autodidacte ». En fait, il y a un véritable fossé entre ces deux styles qui est le même que celui entre des débutants et des professionnels. Vous croyez peut être que j'exagère, mais vous penseriez comme moi si vous aviez eu un joueur traditionnel en train de jouer sans micro devant vous.
Ce fossé est en fait très naturel, car le style traditionnel à au moins 2000 ans d'histoire derrière lui (recherches archéologiques dans les territoires du Nord). Cette durée hallucinante est plus qu'il n'en faut à n'importe qui pour découvrir la meilleure façon de produire le meilleur son. Mais l'histoire du style occidental est toute neuve, elle en est encore à ses débuts comparée au style traditionnel, et elle en est toujours à expérimenter et à tester différentes manières pour trouver comment [bien] jouer.
Le style traditionnel a de toute évidence également traversé cette période (il y a très très longtemps), avant que toutes les facettes du jeu n'aient été clairement établies grâce à une enquête approfondie, ce qui a permis d'obtenir des normes de jeu les plus élevés possibles. Ces « normes » [=le style traditionnel] sont donc une étude scientifique et définitive de l'interaction entre l'air et les muscles du système phonatoire [dans le résonateur yidaki].
Deuxièmement, il n'y a aucune similarité dans les concepts de jeu employés dans les styles occidental et traditionnel, comme comment utiliser la langue, contrôler le niveau de la respiration... Faire du bruit et rechercher une texture spécifique sont deux choses totalement différentes. Quand le didgeridoo est devenu à la mode en Angleterre à la fin des années 80, la compétence technique n'était jamais mentionnée car les gens qui introduirent cet instrument sur le marché n'étaient pas des joueurs aborigènes. Le didgeridoo était perçu comme un instrument étrange, à cause de tous les musiciens new-age et de tous les marginaux qui en jouaient. Puis les vendeurs de souvenirs se sont mis à vendre des didgeridoos pendant les festivals et sur les marchés (malheureusement, 99% de ces didgeridoos australiens étaient fait par des non-aborigènes).
Habituellement dans les workshops et les cours particuliers, on trouvait que la seule chose importante à enseigner pour la pratique du didgeridoo était la respiration circulaire. Les profs comme les élèves pensaient comme ça, dès les débuts de la scène occidentale. La qualité de la texture et du ton dans les sons élémentaires a été ignorée dès le début, jusqu'à ce que l'influence de Yothu Yindi commence à se faire sentir chez les joueurs non-traditionnels.
Les joueurs occidentaux ont tendance à surjouer, et user de trop de force physique pour jouer de n'importe quel instrument est vraiment nuisible au jeu, car c'est en désaccord avec le contrôle « musical » qu'on est censé avoir de l'instrument. D'abord, en soufflant trop fort dans n'importe quel instrument à vent, la tonalité se brise plus facilement, et en même temps cela rend le son moins net. Et donc le son devient sombre et lourd, ou bien doux et trop faible. Le plus bizarre, c'est qu'aussi loin que je me souvienne, quand j'écoute du style occidental, j'ai l'impression d'écouter quelqu'un jouer du didgeridoo, alors que quand j'écoute des joueurs traditionnels, j'ai plutôt l'impression d'écouter de la musique.
Peux-tu recommander des albums pour les gens qui souhaitent apprendre à jouer du didgeridoo convenablement?
Ceux que je recommande sont tous de style traditionnel car je crois que c'est le seul style qui permette d'acquérir les connaissances et les techniques les plus importantes afin de produire la meilleure qualité de son qui soit.
Utilises-tu le didgeridoo dans d'autres contextes, pour des séances de guérison par exemple?
Non, jamais.
Qui t'as inspiré, musicalement ou autre?
Il y en a beaucoup. Miles Davis, Jimi Hendrix, Charlie Parker, Bud Powell, Joe Pass, Glenn Gould, Ben Rosen, Bob Marley, Joji Hirota, Paul Sebastian, Bei Palm, Zakir Hussain, Oum Kalsoum, Manu Chao...
Et tous les joueurs de yidaki traditionnels du nord-est et de l'ouest de la Terre d'Arnhem. À part ça, Mohamed Ali, Bruce Lee, et l'esprit samouraï, qui n'existe plus dans le Japon d'aujourd'hui.
ps: les albums recommandés sont visibles dans la page d'origine, voir le lien en haut du sujet.