Un peu comme tout le monde, lorsque je parle du didgeridoo à des néophytes, je mentionne l'origine aborigène de l'instrument mais je précise aussitôt que le jeu moderne des occidentaux n'a rien à voir avec le style codifié et bien particuliers des aborigènes.
Est-ce une bonne chose que le didge se détache de ses origines ? Je ne suis pas sûr d'avoir un avis bien arrêté sur la question, mais j'ai plutôt tendance à penser que oui. C'est le signe que les occidentaux s'approprient l'instrument et qu'ils arrivent à l'intégrer à leur propre univers et traditions musicales. Imiter le jeu aborigène alors que ses sonorités ne nous plaisent pas, que ses codes ne nous parlent pas, qu'il ne correspond pas à notre culture, serait une démarche vide de sens.
A titre tout à fait personnel, plus je joue du didgeridoo et plus j'écoute des sons trads, plus il m'apparaît comme une évidence que je me tournerai à un moment ou à un autre vers le jeu traditionnel. Pas juste pour le plaisir de jouer du didgeridoo "comme les aborigènes", parce que ce sont eux les inventeurs du didgeridoo et que je leurs devrais bien cela. Comme je le disais ci-dessus, les copier ne me servirait à rien : je suis français, né en France, et je n'ai pas la prétention des comprendre la culture des aborigènes alors je n'ai jamais mis un pied en Australie et que mes connaissances à leur sujet restent uniquement livresques. En revanche, j'aime les sonorités du style traditionnel, le timbre terreux qui gratte des yidakis, c'est le genre de son que je cherche à obtenir... et je pense qu'il y a plein de bonnes choses à retirer de ce style en terme de travail sur le bourdon, de jeu de langue, de techniques de respiration.
A vrai dire, le jeu traditionnel pourrait n'avoir aucun rapport avec les aborigènes, être tout à fait moderne et avoir été inventé par des Japonais en exile aux îles Canaries, pour moi, ça serait du pareil au même.
Ca, c'est une chose. Après, il y a autre chose : le respect que je porte à n'importe quelle culture, qu'il s'agisse des Hmongs de Chine, des Laz de Grèce, des Basques franco-espagnols... ou des Yolgnus d'Arnhem Land. J'estime que chaque culture a le droit de protéger ses valeurs, traditions et modes de vie et n'a pas à se diluer dans une culture mondiale de bon aloi si elle n'en a pas envie.
C'est donc un respect qui n'a rien à voir avec le fait que les Yolngus soient les dépositaires du jeu traditionnel du didgeridoo.
Alors, oui,
forcément, mon intérêt pour le jeu trad me pousse à me pencher sur la culture aborigène... mais je le répète, le respect que je leur porte à d'autres raisons et il n'est pas directement relié à la pratique du yidaki. La culture aborigène a de nombreux autres aspects que le didgeridoo qui méritent qu'on s'y intéresse et qu'on la préserve.
C'est pour cette raison que je ne suis pas vraiment d'accord avec cette phrase que tu as écrit :
Pour moi cette idée m'effraie car ça veut dire aussi renvoyer les aborigenes dans un livre d'ethnologue ou y'aurrait marqué "Les aborigène jouaient au didg mais les peintures et les textes sont trop ancians pour en savoir plus"
Le drame n'est pas que les aborigènes arrêtent de jouer du didgeridoo. Si les Yolgnus décident de jeter leurs yidakis au feu et s'ils développent un style traditionnel au violon pour accompagner leurs cérémonies, comme le disait quelqu'un ci-dessus, ça serait dommage (pour la tradition du yidaki) mais ce serait leur choix et il n'aurait pas à être critiqué.
Le drame serait que
toutes les traditions aborigènes s'éteignent définitivement et complètement, que leur culture cesse d'être une chose vivante et qu'elle soit reléguée aux étagères poussérieuses d'un musée. Ca, ca serait grave.
Ahaw a écrit :Que dire des "didj" retrouvés dans d'autres civilisations ? (Tibet, Maya, BandaLinda, etc)
*fait des efforts montrueux pour se retenir d'enfiler violemment la drosophyle qui lui passe juste sous le nez*
Makowh a écrit :De même, qu'y a-t'il de similaire entre le didgeridoo joué par un européen, dans le cadre d'une culture musicale européenne, et un yidaki aborigène, joué pour un corroboree? Rien non plus. Zalem joue du dubstep sur des didgeridoos vernis, qu'a la culture aborigène à voir avec ça?
Sur le fond, je suis entièrement d'accord avec toi Makowh. Mais le problème se pose justement dans le fait qu'il n'y a pas de net clivage entre le didgeridoo "contemporain" et le didgeridoo traditionnel des aborigènes : parce que le didgeridoo a une image très chargée dans l'esprit occidental (instrument primaire, joué par une des dernières cultures ancestrales de notre planète), parce qu'un bon paquet de joueurs de didgeridoos s'investissent dans la défense des droits des aborigènes ou se réclament d'une philosophie héritée de cette culture (c'est le leitmotiv des festivals comme Airvault), et enfin parce que certains souffleurs s'inspirent ou pratiquent l'instrument en usant des techniques aborigènes.
En d'autres termes, pour mettre les pieds dans le plat et me faire l'avocat du diable : ne vaudrait-il pas mieux finalement pour tout le monde qu'on découple une bonne fois pour toute le yidaki aborigène et le didgeridoo européen ? Admettre dans les faits et dans les esprits qu'il s'agit bien de deux instruments distincts, dont le seul rapport est d'avoir un lien de parenté plus ou moins éloigné, le didgeridoo occidental n'ayant pas à se référer sans cesse à une pseudo-philosophie ou un héritage Yolngu qui ne parlent pas à la quasi-totalité des balandas (et qui ne correspondant même pas en toute rigueur à la réalité des aborigènes, pour autant que j'en sache).
Attention, c'est une question rhétorique,
ce n'est pas la thèse que je défends... J'insiste sur ce point.